Interview
Dominique Dhumeaux, premier vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF).
Peut-on parler d’inégalités entre l’urbain et le rural en matière de mobilité ?
Même s’il est difficile de comparer les situations, elle est flagrante.
La première inégalité réside dans le fait que 30 % du versement mobilité des villes de 200 000 habitants est produit par des habitants des zones rurales (via la contribution demandée aux entreprises qui les emploient). Ces derniers financent indirectement les transports en commun, mais pour aller au travail, ils sont contraints de prendre leur voiture, car pour eux, il n’y a pas d’alternative…
Cette dépendance à la voiture est très marquée. Neuf ruraux sur dix sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler ou faire des courses*…
Pour eux, c’est la double peine. Ils sont contraints de parcourir des distances de plus en plus longues en voiture pour travailler, se faire soigner, accéder à des services publics. Et arrivés en ville, on leur demande de laisser leur voiture en périphérie, de prendre le tram, ou de payer le prix fort pour le stationnement.
Je ne critique pas ces principes d’aménagement, mais tout cela, mis bout à bout, nourrit chez les ruraux un sentiment d’abandon.
La Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) n’avait-elle pas pour objectif de réduire ces inégalités ?
C’était sa raison d’être à l’origine, mais au fil des arbitrages, elle a perdu de vue son objectif premier. Sur les 37 propositions initiales en faveur de la mobilité rurale, il n’en reste que deux, et qui plus est, pas les plus efficaces !
Pensez-vous que le monde rural puisse être un laboratoire de nouvelles mobilités ?
Il l’est déjà. Un grand nombre de solutions ont été déployées sur nos territoires.
Le pôle métropolitain le Mans Sarthe, par exemple, a développé un service d’auto-partage de véhicules électriques, baptisé Mouv’n Go. Il a mis l’ingénierie à la disposition des communes, ce qui a permis un grand nombre d’initiatives. D’autres communes ont organisé le covoiturage, mis en place des services de transport à la demande (TAD), installé des pistes cyclables, etc. Je crois beaucoup au rabattage sur les gares. J’ai pu observer son efficacité à Fribourg, en Allemagne, en 2009.
On m’avait invité à observer, en haut d’une colline, une myriade d’autocars qui convergeaient tous sur le parking d’une gare perdue au milieu de nulle part, quelques minutes avant le départ d’un train. J’ai tenté de développer ce système sur ma commune, mais jusqu’ici nous n’avons pas réussi à trouver un opérateur. Le futur passe aussi par les véhicules autonomes, très prometteurs.
Le monde rural semble beaucoup plus présent dans les débats publics qu’il y a quelques années, avec notamment la mise en place en 2019 d’un agenda rural qui dessine un plan d’action pour ces territoires. Est-ce votre sentiment ?
Quelque chose a bougé, c’est sûr. Les réseaux sociaux ont permis aux ruraux de se fédérer et de devenir visibles. C’était la condition pour que les hommes politiques s’intéressent vraiment à eux, au-delà des discours d’intention. Il est vrai aussi que la prise de conscience écologique, la crise sanitaire, contribuent à changer le regard porté sur le monde rural. Et l’Insee a opéré aussi une petite révolution en revoyant son modèle cartographique : le monde rural est passé de 4,8 millions d’habitants à 24 millions. Quelque chose a changé, mais ne rêvons pas, il faudra du temps avant que cela se transforme en actes.
Qu’est-ce qui pourrait durablement améliorer la vie des ruraux ?
La mobilité est au cœur de tout, la source de toutes les difficultés des ruraux. Il faut agir avec résolution pour que dans quelques années, les ruraux aient une réelle alternative à la voiture. Nous ne pouvons pas attendre, attelons-nous à cette tâche dès aujourd’hui.
Comment financer ces nouvelles mobilités ?
La réponse est simple : par un dispositif de péréquation entre les collectivités qui ont les moyens et les autres, entre l’urbain et le rural.
Les villes et la campagne sont totalement interdépendantes. La campagne apporte aux villes l’alimentation, l’eau, l’air, un endroit où s’aérer. Pourquoi ne pas reconnaître cet apport ? Les villes auraient tout intérêt à participer au financement de systèmes de rabattage qui permettraient aux ruraux d’acheter dans leur centre, plutôt que dans un centre commercial en périphérie. La péréquation va dans le sens de l’intérêt commun, et pourtant, elle semble politiquement totalement inaudible !